Ami humain, choisis ta voie

Prophezine, les enfants de Moryagorn

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Prophezine #4

Autour de Kor

Les héritiers de Yhunn

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Confortablement installé dans son vieux siège disposé devant l'entrée de sa tente, Selan bourrait consciencieusement de tabac brun sa fidèle pipe d'écume, un tabac rare aux effluves parfumées que lui avait récemment offert Rijad au retour d'un de ses voyages au Royaume des fleurs.

Rijad avait fait bien du chemin depuis l'époque où, comme bien d'autres, il avait partagé pendant quelques cycles la vie et les voyages de Selan, apprenant les secrets du voyage jusqu'à pouvoir arpenter seul la terre des dragons. Le vieil homme se rappelait encore aujourd'hui parfaitement le jour où il lui avait offert le premier passant à mettre à son foulard, foulard qui en comptait aujourd'hui trois, à la fierté de son ancien mentor.

Enfin satisfait, Selan alluma sa pipe puis en tira quelques bouffées délicieusement âcres, avant de se laisser aller à détendre tous ses vieux muscles. Ce tabac était décidément excellent.

Penchant la tête en arrière, il se surprit à être presque ébloui malgré ses yeux fermés par l'intense soleil qui brillait au milieu d'un ciel sans nuage. C'était le plein été et les habitants du duché d'Arvendell devaient souffrir depuis plusieurs jours d'une écrasante chaleur. Mais le dragon des Vents veillait sur les siens, et sur Havre soufflait comme à l'accoutumé une petite brise qui protégeait ses habitants de la canicule et avait même incité le vieux voyageur à rabattre le auvent de sa tente, disposant ainsi son siège en plein soleil pour réchauffer ses muscles endoloris...

Portant de nouveau sa pipe à sa bouche avec un soupçon de plaisir anticipé, Selan reporta son attention sur l'activité intense qui régnait devant lui. Un nouveau quartier mouvant était en train de naître à quelques pas de la tente familiale. Dans ce qui semblait un indescriptible chaos, une caravane s'installait, remplaçant celle qui, partie hier, avait laissé un vaste espace libre au coeur de la cité des vents. Petits et grands, tous s'activaient dans un nuage de poussière, qui à monter les tentes, qui à mener les bêtes aux enclos, qui à dresser l'inventaire des marchandises à vendre, qui à signaler à la milice locale l'installation de la caravane... Dans quelques heures, quand le nouveau quartier se serait constitué et vivrait au rythme de la cité comme s'il était là depuis toujours, Selan irait faire connaissance avec ses nouveaux voisins et partager avec eux quelques histoires autour d'un bon feu.

Selan adressa un remerciement silencieux à Szyl, qui lui permettait de continuer à rencontrer de nouvelles personnes et à entendre sans cesse de nouveaux récits, poursuivant ainsi par procuration ses voyages à travers Kor. Bien qu'il maudisse souvent et pleure même parfois sur le vieillard incapable de repartir sur les routes qu'il était devenu, Havre, la cité aux mille visages, rendait pour lui plus supportable la prison qu'était devenu son corps au fil des années.

Un sourire naquit soudain sur ses lèvres et sa mélancolie s'envola lorsqu'il remarqua parmi la foule bigarrée les visages bien connus d'enfants qui courraient en riant parmi les chariots, les bêtes, les tentes et les marchands mécontents de voir leurs marchandises répandues par terre par ces chenapans. Hors d'haleine, une quinzaine d'enfants arrivèrent en hurlant vers Selan, parmi lesquels plusieurs visages inconnus jusqu'alors. Encore aujourd'hui, il s'émerveillait de cette capacité qu'avaient les enfants de Havre à se lier d'amitié avec leurs nouveaux voisins, alors que les parents n'avaient pas encore fini de monter leur tente.

Selan connaissait bien sûr ce Ser Revald de réputation. Le seul nom du jeune paladin, héros de nombreuses chansons de ménestrels, suffisait à faire tomber en pamoison la moitié des jeunes femmes de l'Empire, et pouvait difficilement lui être inconnu. Il n'avait cependant jamais vu celui que les histoires décrivaient comme le plus noble chevalier qu'ait connu la noblesse Solyrienne depuis Kersyl le Téméraire ou Syrmian d'Asturienne. Maître d'armes émérite, second des paladins derrière Aldan le Preux, on disait qu'il ne cédait sur ce dernier que sur son talent au fléau. Mais malgré ses jeunes années, on attribuait à sa compagnie presque autant de dégâts dans les rangs du fatalisme qu'à la légion des chasseurs d'ombre.

Ce fut alors un concert de clameurs « Oh, grand père, si tu les avais vus !!! », « Leurs armures brillent comme le soleil !!! », « Et Ser Revald est si beau », « Et quand ils avancent, leurs lances sont parfaitement dressées et alignées », « Et leurs chevaux sont si forts et si nobles !!! », « Normal, ils montent tous des destriers Kariens !!! »

Selan avait lentement distillé son récit, avec la force et la passion du talentueux conteur. Durant celui-ci les jeunes gens s'étaient instinctivement assis autour de lui comme pour boire ses paroles. Et alors qu'il prenait sa pipe en bouche pour en tirer lentement quelques bouffées, pendant encore quelques instants, derrière ces yeux pleins de rêves et ces bouches grandes ouvertes, les destriers Kariens continuèrent de parcourir les vastes étendues de l'imagination de ces jeunes esprits...

A l'évocation d'une telle fortune, les enfants laissèrent échapper quelques exclamations. Ils n'avaient pas grande connaissance de la valeur des choses, mais un drac d'or était pour eux censé permettre d'acheter la plupart des choses qu'ils sauraient citer... Une pleine poignée ?

Ces derniers se perdaient en conjectures et échangeaient à mi-voix mille hypothèses lorsqu'il ressortit avec à la main une étoffe qui entourait un objet allongé. Il défit la cordelette qui la maintenait, révélant une épée rangée dans un fourreau de cuir d'un âge certain. Puis d'un geste sûr, il en fit jaillir la lame sous les yeux ébahis des enfants.

L'arme était, elle, apparemment en excellent état. Assez courte, et plus large que la moyenne, elle aurait pu être lourde si la lame n'avait été si fine. Elle semblait légère et maniable entre les mains du vieux voyageur.

Lame de Selan

L'étonnement, puis l'excitation s'empara des jeunes spectateurs.

Selan fut obligé de lever les bras pour apaiser l'impatience de son auditoire. Lorsque le silence revint, il avait devant lui un public captivé et pendu à ses lèvres. Il éclaircit sa voix puis tira lentement une bouffée de sa pipe en levant les yeux au ciel comme s'il cherchait comment commencer son récit, mais dans le seul but de prolonger le suspense.

Cependant devant l'air déçu de son petit-fils, il poursuivit : « Mais quelle importance, puisque jamais nous n'affrontons de combattants, n'est-ce pas ? Mais un brigand, alors là, je te lui aurais botté les fesses sans aucun problème ». Les enfants rirent de bon coeur.

Timidement, Kyrian osa la question que Selan guettait : « Dis grand père, comment on devient combattant ? Je veux dire, est ce que moi je pourrais ??? »

Selan prit un air faussement évaluateur. « Hum, tu es solide et bien bâti, et tu n'es pas le dernier pour la bagarre à ce que je sais ». Kyrian rougit et sourit en baissant les yeux.

Les yeux de Kyrian brillaient d'émotion et de fierté, et il ne réussit qu'à silencieusement acquiescer à la proposition du vieil homme. Tapant sur l'épaule de son ami en souriant, Eskyel eut un large sourire puis, soucieux de détourner la pesante attention de ses compagnons, il interpella son grand-père : « Bon, mais tu ne nous as toujours pas raconté l'histoire de cet ami combattant ! »

Selan sourit devant le geste de son petit-fils. Tous les regards étaient désormais de nouveau posés sur lui...

L'ambition du projet fut accueillie avec de nombreuses exclamations de la part des enfants.

Selan remarqua du coin de l'oeil le regard et le sourire échangés entre Eskyel et Kyrian. Eux aussi prendraient bientôt des chemins séparés, et le récit de leur grand-père soulageait leurs inquiétudes muettes face à cet avenir.

Selan fit une petite pause dans son récit, laissant les enfants appréhender l'étendue de l'importance de cet objet et échanger entre eux quelques commentaires.

Selan étouffa un bâillement. La fatigue l'avait envahi sans qu'il y prenne garde, mais elle était maintenant omniprésente. Encore une fois, il maudit silencieusement son âge. « Mes enfants, je suis hélas trop fatigué pour vous conter tout cela en détail aujourd'hui ! »

La déception apparût sur tous les visages. « Grand-père, dis nous au moins si vous avez trouvé l'écaille !!! » implora Kyrian.

La déception s'accentua encore sur le visage du jeune homme.

Selan sût qu'il avait trouvé les mots justes lorsque la déception laissa la place à un large sourire sur le visage des enfants assis autour de lui. Qu'ils soient ou non fils ou fille de voyageur, tous les enfants de Havre partageaient cet amour du voyage, tous étaient un peu les enfants de Szyl.

Avec lenteur, Selan se leva, marquant la fin de son récit. Les enfants, enchantés par son histoire sautèrent sur leurs pieds et vinrent embrasser et serrer dans leur bras le vieux voyageur avant de partir en courant dans un déchaînement de cris joyeux. Selan avait remarqué que Kyrian l'avait serré dans ses bras plus fort et plus longtemps qu'à l'accoutumée...

Malgré la fatigue et ses muscles endoloris, c'est avec un sourire aux lèvres qu'il pénétra dans sa tente pour se diriger vers son lit. Son regard se porta sur l'épée qui n'avait pas quitté sa main. Avec prudence tout d'abord, puis reprenant peu à peu confiance, avec de plus en plus de vitesse, il fit quelques habiles moulinets avec celle-ci. Il avait vraiment eu un excellent professeur !

Retrouvailles de Selan

Il repensa alors à sa dernière rencontre avec Dorian. Celle dont il avait omis de parler, celle qui les avait réunis de nouveau, au même endroit, après que douze autres années se furent encore écoulées. Selan commençait déjà à être vieux pour parcourir les routes, et si sa solide constitution l'avait bien préservé, l'âge le marquait chaque année davantage, annonçant que viendrait bientôt la fin de ses voyages.
Mais il ne remarqua rien de tel chez le solide maître d'armes qui l'accueillit ce jour-là dans la taverne de Lobel. Dorian avait vieilli bien sûr, mais l'âge semblait l'avoir épargné. Nulle faiblesse dans son bras, nulle fatigue dans ses jambes... On prêtait aux fragments de Yhunn certains pouvoirs...

Selan n'avait pas posé la question, Dorian n'avait pas abordé le sujet, mais d'une façon certaine, tous deux savaient que l'autre savait également, ils n'avaient besoin de rien de plus. Ils avaient ri, ils avaient parlé deux jours durant, leur amitié toujours intacte malgré le temps, malgré tout ce qu'ils avaient vécu.

Cette fois, aucun d'eux ne proposa de se revoir dans douze ans. Mais leur dernière étreinte fut sans aucun regret, tous deux goûtaient la chance qu'ils avaient eu de se revoir encore une fois, d'avoir une vie bien remplie et de partager une amitié si profonde.

Bien sûr, Selan aurait pu raconter aux enfants la vraie fin de cette histoire, mais à leur âge, ils n'en auraient retenu que l'amertume. Il est des choses que l'on accepte et que l'on goûte à leur vraie valeur que lorsque vient le crépuscule de sa vie. Et puis, ils avaient davantage besoin des belles leçons qu'un vieil homme pouvaient leur enseigner, que de se mettre en tête de partir sur les routes à la recherche d'écailles légendaires. L'idée leur viendrait bien assez vite comme cela...

Allongé sur son vieux lit, avant de céder au sommeil, Selan adressa une silencieuse prière en remerciement à Szyl qui veillait sur tous les habitants de Havre. Il le remercia pour cette nouvelle journée de joie et de partage. Sa vie se terminait peut-être... Peut-être même ne s'éveillerait-il pas tout à l'heure de cette sieste, mais peu importait le bout de la route, chaque jour, il en goûtait le chemin !

A SUIVRE...

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Bruno © Prophezine 2004

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