Ami humain, choisis ta voie

Prophezine, les enfants de Moryagorn

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Prophezine #3

Autour de Kor

Un présent pour Bran

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Depuis des heures, la pluie tombait dru et inondait Kern de torrents d'eau claire. Enfermés dans une salle du Temple de Brorne, quelque part dans le District de Granit, les Inspirés de T'lan avaient le visage fermé et les yeux hâves.

Assis sur un tabouret de bois, le Guide Yarnn avait débouclé son ceinturon et, le menton posé dans une main tremblante, avait le regard perdu dans la contemplation du mur opposé. En tailleur devant une table basse, Lou et Effik regardaient fixement les rainures du bois ; le teint couperosé par la boisson. Effik gardait la main sur une coupe d'étain qu'il remplissait régulièrement d'une gnôle de prune. Lou, mâchoire serrée, avait enserré ses genoux dans l'étreinte de ses bras. Gris fer, son regard farouche ne quittait la table que pour regarder le grabat au fond de la pièce. Assis dos au mur à coté du corps inerte de Bran, Gothir tripotait depuis des heures une chaînette de vénération, murmurant des litanies dungaries. R'lias, en lotus devant le grabat, n'avait pas bougé depuis près d'un jour plein. Abîmé en méditation, le Prodige n'avait prononcé aucun mot et le souffle même semblait avoir déserté son corps. Il n'avait pas touché à son bol de soupe, toujours posé à son coté, et dont la graisse onctueuse avait figé en une mince pellicule ambrée.

En sueur, Bran tressaillait dans son inconscience, murmurant parfois des mots dénués de sens. Son bras gauche replié sur la cicatrice de son torse, son épaule droite disparaissait sous un épais pansement d'un vert sombre. R'lias avait certes sauvé la vie de son compagnon, mais les chairs boursouflées du moignon d'épaule nécessitaient de lourds cataplasmes d'armoise et de suc de genêt gris.

Soudain, R'lias ouvrit les yeux et jeta :

Vol

Le fracas du tonnerre à l'extérieur sembla redoubler tandis de des éclairs fulgurants nimbaient la pièce de lueurs blafardes. Un choc sourd fit trembler toute la tour du Temple, et de lourds grattements parvinrent de la charpente alors que les poutres grinçaient et laissaient s'échapper de fines colonnes de poussière.

Yeux levés, les Inspirés échangèrent des regards inquiets. Seul R'lias demeurait immobile, tournant le dos à tous.

De petits grattements, semblables au bruissement du vent dans les ramures, parvinrent de la fenêtre en ogive : tel un torrent sombre et malin, un lierre foncé et noueux se déversait dans la pièce, s'agrippant aux murs et lançant des vrilles végétales dans toutes les directions. Yarnn boucla d'un geste souple son ceinturon et se leva en dégainant sa double épée. D'un mouvement du menton, il fit reculer Lou derrière lui et regarda Effik se glisser lentement vers la porte, sans un pas plus vif qu'un autre.

Déjà, plusieurs mètres cubes de végétations s'étaient glissées dans la pièce lorsqu'une racine épaisse jaillit des feuilles et se dressa tel un aiguillon. Dans l'épaisseur du bois, les filaments ondulèrent et formèrent une parodie de visage qui balaya lentement la pièce. En quelques secondes, le lierre se ramassa et s'agglutina sous cette tête bulbeuse où se formait une barbe épaisse et drue, une longue crinière de cheveux noirs rêches et des yeux laiteux vaguement teintés de vert.

Hauserwyr absorba les derniers filaments de lierre qui dépassaient de sa jambe, laquelle perdit peu à peu sa couleur foncée pour imiter le rose de la peau humaine. Tombants à genoux, les Inspirés marquèrent leur respect au dragon. Nu et indifférent, Hauserwyr s'avança jusqu'à la couche et passa une main calleuse sur le torse de Bran. A son contact, la ligne livide de la cicatrice sembla se résorber et lorsque ses ongles sales effleurèrent le pansement, ce dernier germa et gonfla sous une brutale croissance végétale. L'emplâtre se fissura et le dragon écarta les brins frémissants qui ondulaient sur la plaie encore rouge et enflammée. Avec un gémissement sourd de tristesse, il tourna la tête et croisa le regard des mortels toujours agenouillés au sol, Yarnn gardait les yeux fixés sur les dalles, trop coupable pour oser se relever. Se dandinant d'un pied sur l'autre, Lou semblait pleine de colère et Effik et Gothir hésitaient sur la conduite à tenir. Seul R'lias soutenait le regard du dragon et comprenait la terrible peine qui l'habitait.

Se retournant brusquement, Hauserwyr posa ses dents sur son poignet et déchira un long lambeau de sa propre chair : le sang jaillit, visqueux et noir comme une sève d'automne. De l'autre main, il baigna le morceau de chair dans son sang et l'apposa sur l'épaule de Bran. Comme animé d'une vie propre, la chair draconique se tortilla et glissa autour du moignon, semblant fusionner avec la chair mortelle : les doigts rugueux d'Hauserwyr commencèrent à lisser le lambeau noirâtre qui gonflait et ondulait comme un serpent. Epais comme un doigt, il s'allongea et s'épaissit pour devenir long d'une coudé et aussi épais qu'une bêche. Lentement, comme une glaise sous les doigts du sculpteur, la matière prit la forme d'un bras épais et musclé à mesure des massages du dragon. Progressivement, le lambeau perdit de son éclat visqueux et prit l'aspect d'un bois noir et dur. Au terme de cet ouvrage, Hauserwyr se releva et regarda son oeuvre : fondu dans les chairs rosies du moignon, un bras d'ébène sculpté aux proportions parfaites équilibrait la silhouette mince de Bran.

Alors que tous les mortels présents contemplaient l'inestimable présent, Bran grogna dans son sommeil et s'agita. Avec un hoquet, il ouvrit brutalement les yeux...

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Thomas FERON © Prophezine 2004

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