Ami humain, choisis ta voie

Prophezine, les enfants de Moryagorn

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Prophezine #1

Autour de Kor

L'épreuve du guerrier

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Les yeux encore embrumés, Snadâr repoussa la couverture de laine et s'assit au bord de sa couche. En face de lui, Rygul ronflait comme un sonneur, blotti au fond de son alcôve. Ce matin, la chambre de passage sentait le bouc et les bottes du lutteur, jetées sur la peau de bison du sol, rajoutaient encore à la moiteur ambiante. Snadâr écarta le rideau de la fenêtre en ogive, plissant les yeux sous l'ardeur du soleil levant. Entre ses paupières humides, il entrevit les remparts d'Ankar, encore noyés par la brume. Dans les profondeurs ouatées, il lui sembla distinguer la forme d'une chimère, ondulant le long des créneaux. Probablement un dragon qui profitait du soleil levant pour une promenade sur les Remparts. La seule fois où lui-même y était monté, c'était pour rencontrer un fils de Szyl, et il se souvenait de la largeur colossale du chemin de ronde. Avec sa classe de novices, ils avaient pu se tenir à vingt de front pour étudier l'art du javelot expliqué par l'Ailé. Tout cela était loin, et dans quelques heures, ce serait encore plus loin...

Ankar

Dans la cour, la corne d'heure sonna les huit heures. En se retournant vers le colosse endormi, Snadâr hésita. Le lutteur était arrivé tard dans la nuit, se glissant dans la chambre à la lueur d'une torche de joncs tenue par l'écuyer de garde. Il devait avoir besoin de dormir, mais la Citadelle du feu avait ses usages. S'il ne se joignait pas aux exercices, son corps deviendrait flasque et Kroryn serait mécontent de lui. Il empoigna le bord de la couverture de gal, mais un poing de la taille d'un melon se referma sur son bracelet de cuivre. Le lutteur, les yeux ouverts, lui décrocha un large sourire jauni.

Le gros lutteur sourit.

Leurs regards se croisèrent, balayant rapidement les bras adverses. Autant les robustes canons d'avant-bras du guerrier se paraient de clous d'or et de gravures scintillantes prouvant ses exploits, autant les poignets de cuir bordés d'argent du lutteur attestaient de sa gloire. Rien d'infamant ne les arrêtant, les deux combattants bandèrent leurs muscles et forcèrent la prise.

Quelques secondes plus tard, l'écuyer de garde poussa la porte de la chambre et découvrit les deux occupants étroitement imbriqués. Le guerrier avait réussi à passer une main autour de la gorge de son adversaire, mais le lutteur semblait n'en avoir cure, sa graisse rendant impossible un étranglement si sommaire. De son côté, il écartait lentement le bras de son adversaire, la tête légèrement penchée en arrière pour préparer un coup de boule. L'écuyer jugea d'un regard la scène et attendit une seconde. Alors que le lutteur expirait violemment en lançant le front, le guerrier lâcha brutalement sa gorge et s'abaissa entre les deux torses. Frôlant sa ceinture, il en tira une fine dague dont il appliqua la lame glacée sur les abdominaux de son frère de caste. La nuque de ce dernier se raidit, et il immobilisa son front épais à un pouce du nez de Snadâr.

L'aspirant-chevalier s'avança dans la pièce et se planta devant le colosse suant.

Le lutteur rigola en direction de Snadâr.

Il assena un léger coup de poing sur l'épaule de l'aspirant.

Adossé au mur de faïence du bain de vapeur, Snadâr repassait en revue ses projets de la matinée. La cérémonie n'aurait pas lieu avant le milieu d'après-midi, ce qui lui laissait largement le temps de flâner en ville. Sa tunique était prête, mais sa ceinture ne lui convenait plus du tout. Il faudrait penser à en trouver une autre. Il savait qu'il devrait affronter le Maître des Guerriers lors de la cérémonie, et il tenait à ce que sa tenue fût digne de son Maître de corps. Cela faisait bien trois années qu'il n'avait pas revu Klauss, et il savait que le combat serait difficile. Déjà à l'époque, il avait la réputation d'un solide gaillard. La rumeur disait qu'il avait cassé un bras à son dernier prétendant. Cela expliquait pourquoi, depuis un moment, personne ne se sentait assez fort dans la caste pour remettre son titre en cause.

Il fit signe à une masseuse de l'accompagner vers une table. A plat ventre sur le coussin de cuir, il essaya de se souvenir de l'échoppe où il était allé acheter sa dague. Près de la fontaine des émaux ? Ou celle des nymphes ? Bah, il retrouverait bien ! Fermant les yeux, il laissa la fille dénouer ses muscles couturés de cicatrices.

Passant le rideau de perles de verre en lévitation sur le pas de porte, Snadâr dû s'habituer à la pénombre de l'échoppe. A son cri, une femme boulotte émergea du fond de la tannerie.

La femme sortit un coffret d'un placard et le posa sur une table basse.

Elle désignait un épais barreau de fer gris, accroché au mur par deux poings d'argent. Snadâr décrocha son fourreau d'un mouvement d'épaule et sortit sa lame d'acier. Il l'approcha du barreau, sentant la force magique attirer l'arme. Lorsqu'il la lâcha, la lame resta perpendiculaire à la barre, l'effleurant simplement par le haut. Il tira sa dague de sa ceinture élimée et la laissa s'agripper.

Dans le coffret, une douzaine de boucles de ceinturon d'homme brillaient. Certaines d'or, d'autres d'argent, toutes possédant une finition superbe. Du travail dungari, à n'en point douter. Il connaissait tous les artisans de la région et savait qu'aucun n'aurait pu réaliser un tel ouvrage. En prenant son temps, il examina les boucles et en leva une à hauteur des yeux. De forme géométrique, elle avait six côtés droits et des éclats de rubis incrustés aux angles. Les gravures sur les côtés reprenaient en lettres runiques des mots dont certains lui étaient familiers.

Gloire, audace, force, fougue...

Les deux dernières lui étaient inconnues, mais il les devina.

Porte de la ville

Tirant la pièce d'un logement caché dans le fourreau de son épée, il la tendit à la boutiquière, glissant un regard vers les bandes de cuir qui pendaient derrière elle. La femme lança un coup d'œil à la pièce, puis la jeta en l'air. Sur une étagère voisine, une gargouille argencière s'anima brutalement, ses fines ailes scintillantes s'étendant avec un claquement. La petite créature attrapa la pièce au vol et plana jusqu'au-dessus d'un bahut. Snadâr regarda distraitement l'élémentaire fourrer la pièce dans sa gueule, ses paupières cuirassées se refermant à demi sur ses yeux d'onyx pailletés d'or. L'argencier émit alors un petit roucoulement sourd, semblant marquer son approbation.

Snadâr sortit les deux dracs de son aumônière, se refusant à négocier un prix juste. Il attira le regard de la gargouille et brandit les deux pièces entre ses doigts. Le petit être bondit et chipa au vol les deux rondelles scintillantes. De retour sur son étagère, il commença à jouer avec les dracs, ces derniers se déformant comme de la gelée à son contact.

L'argencier trépigna sur place, puis étira les deux pièces en boudins gélatineux qu'il enroula autour de son cou. L'argent se mêla à son corps sans pour autant augmenter sa masse. Snadâr se désintéressa du serviteur élémentaire et récupéra son nouveau ceinturon. Il y ajusta ses pochettes contenant une pierre aiguisante, un silex et quelques babioles, attacha fermement son aumônière et boucla le fourreau de sa dague. Il garda son fourreau d'épée à l'épaule, peu désireux de se faire provoquer en duel. A quelques heures de la cérémonie du Statut, il préférait garder ses forces.

Snadâr descendit la rue, s'écartant avec un sourire d'une bande de gamins qui chahutaient en se poursuivant. Toute cette agitation lui rappelait son enfance. Au coin d'une rue, il acheta une brochette de poulet au curry qu'il grignota en flânant. Il s'arrêta un moment devant un cracheur de feu qui domptait un ruban de feu bleuté sortant lentement de sa bouche. Il l'enroulait autour de baguettes d'acier et dessinait des arabesques fulgurantes au dessus de lui. Sa maîtrise ignée était spectaculaire et Snadâr lança un drac de bronze dans le bol d'argile pour sa peine. Un mendiant s'accrocha à son bras en le voyant faire, et il du lui offrir une pièce de fer pour avoir enfin la paix.

Il apercevait le bulbe de cuivre du temple lorsque des battements sourds résonnèrent dans la rue. A pas lents, une procession funéraire remontait l'artère. Une douzaine de pleureuses au visage griffé ouvraient la marche, poussant des cris d'orfraie. Derrière elles, quatre robustes garçons portaient un catafalque de bois recouvert d'un drap rouge. La tête légèrement relevée, le mort avait les yeux clos et le visage apaisé. Ses cheveux blancs et son visage flétri attestaient d'une longue existence, et le rouge de son drap mortuaire montrait son allégeance à Kroryn. Glissé entre ses mains gantées, un fleuret à la garde d'or ciselée reposait sur sa poitrine. De fins bracelets de platine à une chaîne enserraient ses bras.

Snadâr poussa quelques badauds et s'avança en balançant sa brochette derrière lui. Comme d'autres combattants dans la rue, il mit un genou à terre et tira son arme en signe de respect. Il prononça la prière des morts et pria pour que l'esprit du trépassé ne soit point tourmenté par Kalimsshar. D'ici quelques heures, la procession aurait arpenté toute la Cité et arriverait au sommet du Khurgâl. Le corps serait lancé dans le lac de lave et toute la force du défunt rejoindrait le Seigneur des Volcans.

Snadâr se releva et brossa un peu la poussière ocre sur ses genoux. Il s'engouffra dans une étroite venelle et passa sous un porche sombre avant de déboucher sur une petite place triangulaire. En face de lui, deux statues imposantes se dressaient de chaque côté de l'entrée du temple. Le bronze avait verdi sous les assauts des ans, mais le visage anguleux et les cheveux rasés du Seigneur du Métal étaient largement reconnaissables.

Snadâr se passa une main dans les cheveux et tenta de peigner sa tignasse bouclée. Il vérifia sa mise et franchit le rideau de ténèbres magiques qui délimitait le temple. A l'intérieur régnait une douce lueur orangée, provenant des larges vitraux ovales. Le temple de Kezyr n'avait pas changé : une douzaine de colonnes de pierre lisse, recouvertes par de fines grilles de métal ciselé, étaient alignées en demi-cercle. Une épée aussi haute qu'un homme, flottant à trois pas de hauteur, scintillait doucement en tournant sur elle-même. La large lame semblait forgée dans le mercure, réfléchissant par intermittence les lueurs de dizaines de petits morceaux d'ambre luminescents pendus à de fins fils d'acier. Attachés à des hauteurs différentes, ils formaient des mobiles aux formes complexes oscillant doucement. Snadâr inspira lentement l'air chargé d'encens et s'avança devant l'arme titanesque. Il s'assit à même le sol, croisant ses jambes en tailleur. Il empoigna sa lame et la tira lentement du fourreau. La lame siffla au contact des énergies du métal de l'endroit. Snadâr ferma les yeux et laissa son esprit se focaliser sur le combat qui devait avoir lieu cet après-midi.

Le geste...
La souplesse...
La précision technique...
Les mouvements fluides qui se succèdent...
La mesure du souffle...
La rapidité...
La foi...

Le geste...
La souplesse...
La précision technique...
Les mouvements fluides qui se succèdent...
La mesure du souffle...
La rapidité...
La foi...

Le geste...
La souplesse...

Mille fois, Snadâr imagina chacun de ses gestes, chaque pas, chaque feinte de corps, chaque esquive... Il visualisa la position de ses pieds, mesura l'allonge précise de chacun de ses coups... L'esprit devait contrôler le bras... Sans maîtrise, sans Art, la force devenait l'ennemie et la fougue devenait inconscience...

Avec sang-froid, Snadâr ouvrit les yeux et expira lentement. Il garda le regard rivé devant lui. Dans le halo ambré, l'épée avait disparu. Il sentit une présence derrière lui et une main ferme se posa sur sa nuque.

L'homme portait un pagne de soie verte brodée d'or. Son corps bronzé possédait une musculature ciselée et seul un torque d'or magnifiquement gravé brillait à son cou. Ses cheveux semblaient tissés de neige et ses yeux opaques miroitaient comme deux flaques de diamant liquide.

Snadâr inclina respectueusement la tête en se frappant le coeur de la main droite.

Le dragon releva le bras de Snadâr et regarda la lame scintillante.

Le dragon prit une profonde inspiration et souffla doucement sur l'épée. Les encoches laissées par de violents coups parés s'effacèrent et les griffures du métal disparurent lentement. Le fil du tranchant retrouva une rectitude parfaite et la pointe s'affina. Le dragon sourit.

Snadâr hocha la tête, la gorge serrée. Le dragon se détourna et marcha lentement autour du temple. Snadâr le suivit un moment des yeux, puis rengaina son épée sanctifiée. Relevant les yeux, il ne vit nulle trace du dragon. Il se retourna alors, se prosterna cérémonieusement devant l'épée massive et ressortit du temple le coeur gonflé d'espoir et de certitudes...

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Thomas FERON © Prophezine 2003

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