Prophezine #1
Autour de Kor
Onyr, le Joyau des Cieux
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L'été était déjà loin, et les premiers frimas commençaient
à se faire sentir dans le nord de l'Empire de Solyr. Mais comme à l'accoutumée,
Havre était une ville où il faisait bon vivre. Le crépuscule précoce donnait lieu
à de longues veillées entre amis ou entre proches, des veillées comme celle-ci,
où le vénérable de la famille transmettait son savoir et ses souvenirs. Une
veillée comme celle-ci...
- Grand-père ! Grand-père ! Raconte nous encore une fois le jour où tu as
rencontré le seigneur Brorne ! Allez grand-père, dis nous oui !
Dit à l'unisson la horde d'enfants hirsutes qui venait d'entrer
dans la vaste tente familiale. Ils avaient les joues rougies par l'air frais et
n'attendaient qu'une chose, que leur vieux grand père leur raconte ses aventures.
Mais aussi qu'il leur permette de repousser l'inévitable moment où ils devraient
aller se coucher.
Assis près de l'âtre, le vieux Selan, vénérable voyageur
qui sa vie durant avait parcouru Kor au service des Messagers, mâchait un bâton
épicé entre ses dents éparses. Sa pipe d'écume fumait dans un coin du foyer,
laissant planer une odeur envoûtante d'herbes aromatiques issues de la Forêt
Mère. Plissant ses yeux ridés et prenant une voix caverneuse et lugubre, Selan
énonça la phrase désormais rituelle, sachant pertinemment qu'elle allait provoquer
l'hilarité de sa petite troupe :
- Entrez les enfants, asseyez-vous et préparez-vous à vivre la plus terrifiante
des aventures !
Les enfants rirent de bon coeur tout en s'installant en demi
cercle devant le grand-père qui prenait une meilleure assise dans son fauteuil à
bascule.
- C'était il y a bien longtemps, alors que j'arpentais un chemin sinueux du
massif de Kern avec mes amis de voyage. Juste au moment où je pensais faire
une halte afin de nous reposer un instant, je fus le témoin d'un bien
étrange phénomène.
- Tu as rencontré Brorne ? C'est ça ?
Risqua timidement une fillette qui n'avait jamais écouté le
vénérable auparavant. Et qui par la même occasion fut gratifiée d'une demi
douzaine de " Chhuuut !!! " de la part de ses compagnons de jeux.
- Non, pas à ce moment là, ma petite.
Rétorqua Selan amusé par le sérieux de son auditoire.
- Je vis un homme qui volait !
Les enfants écarquillèrent les yeux de stupeur, puis une
fillette à peine plus haute qu'un Tark s'exclama avec force et conviction :
- Esmack, ma grande soeur, dit que c'est mal de vouloir voler ! Et que c'est interdit !
- Tu as raison Cibelle, ta grande soeur t'a dit la vérité. Mais même les
Prodiges peuvent parfois se tromper, car cet homme là ne volait pas grâce
à une machine, mais bel et bien grâce à de superbes ailes blanches.
- Mais ça n'existe pas grand père !
Objecta un jeune garçon, fronçant les sourcils.
- Si mon petit, cela existe. Cet homme était un mage et ses plumes étaient
faites de magie et, par la même, il se pouvait tout à fait que les Dragons
aient toléré sa présence en leur domaine.
- Un mage ...
Soupirèrent les enfants, médusés.
- Nous l'avons rencontré un peu plus loin, son sortilège devait avoir fini par
s'amenuiser, et il avait dû s'en remettre à ses jambes pour aller de l'avant.
Les autres firent une halte et je l'ai rattrapé rapidement, car le pauvre
avait une vilaine blessure à la jambe et ne pouvait marcher que très lentement.
C'est tout naturellement que je lui ai proposé notre aide.
Prenant sa pipe délicatement, Selan aspira une bouffée
lentement afin de rassembler ses souvenirs. Discrètement, dans le fond de la
tente, Eskyel, le petit-fils de Selan, qui assistait à toutes ses veillées,
chuchota à l'oreille de la nouvelle fillette :
- Tu vas voir que tu ne sauras même pas comment il a rencontré Brorne ! Hihihi,
il nous fait ça à chaque fois !
La fillette sourit amusée.
- Je disais donc que je lui proposais de l'accompagner jusqu'au plus proche
village de Kern. Mais quelle ne fût pas ma surprise d'apprendre qu'il ne
souhaitait pas se rendre à Kern mais à Onyr ! La mystérieuse cité flottante
! La Cité de la Chimère !
- La mère de Szyl !!!
Cria Cibelle folle de joie.
Selan attendit que les enfants aient terminé de pouffer de
rire en voyant Cibelle devenir écarlate de honte.
- Oui, la mère de Szyl... Et son sanctuaire est une ville qui flotte dans les
airs et qui se trouve au-dessus du fleuve Lom en été. Je ne l'avais jamais
vue réellement de mes propres yeux, et après en avoir longuement parlé avec
mes compagnons de voyage, c'est avec un grand plaisir que nous acceptâmes sa
proposition de l'accompagner. Ce jeune mage se nommait Kolereck D'Ar, mais je
l'ai rapidement surnommé Kole. Il était très sympathique, quoique énigmatique
comme beaucoup de mages. Il était mage des Vents et des Rêves, et souhaitait
retrouver son maître à Onyr. Nous voyageâmes ensemble plusieurs semaines
durant avant d'arriver en vue du fleuve et de la plus merveilleuse des choses
qui flottait au-dessus, remplissant le ciel presque tout entier.
Selan prenait soin d'appuyer son histoire de silences qui
en disaient long sur la beauté du spectacle. Les enfants, pour la plupart,
avaient fermé les yeux et tentaient de s'imaginer le spectacle grandiose.
- Imaginez une ville sans routes, sans murailles ; une ville faite de milliers
de tours qui volent dans les cieux, réunies par des passerelles aussi étroites
et fines que les cordes d'une harpe.
Toujours aussi médusés, les enfants restèrent silencieux un
instant, puis la petite nouvelle se risqua à poser une question :
- Mais comment fait-on pour y aller grand père ? On sait pas voler nous...
- J'y arrive mon enfant. Effectivement, je me suis posé la même question en
arrivant à son aplomb. Jusqu'à ce que j'aperçoive les transbordeurs.
- Les quoi ?
S'exclamèrent les enfants à l'unisson.
- Les transbordeurs, des mages spécialisés dans la magie des Vents, qui
permettent aux visiteurs d'accéder à la ville en leur faisant monter des
passerelles flottantes après que ceux-ci ont payé leur taxe. Ce fût la
première fois de ma vie que mes pieds quittèrent le sol de Kor. L'espace
d'un court moment je devins un oiseau, je pouvais voir par delà les sentiers,
je survolais la canopée de la grande Forêt Mère ! Ce fût un moment
inoubliable ! Je sens encore le vent dans mes cheveux, et le sentiment d'être
plus proche de Szyl que je ne l'avais été auparavant... et que je ne le serai
jamais.
Un soupir de contentement parcourut la tente de Selan. Les
enfants, les yeux toujours fermés, se voyaient tous en train de monter vers Onyr,
le vent dans les cheveux. Mais leur chute fût rude lorsque Cibelle lança un vif :
- Humm. C'est mal de se prendre pour un oiseau ! C'est Interdit qu'elle a dit Esm...
Soudain, deux grands gaillards se tournèrent vers la petite
rouquine, les yeux plissés par l'exaspération :
- Mais tu n'as pas fini de nous rappeler sans cesse ce que te dis ta grande
soeur ! Elle est une Prodige, c'est normal qu'elle te dise ça ! Et puis grand-père
n'a pas dit qu'il était un oiseau en plus ! Alors arrêtes un peu de nous gâcher
sa belle histoire !
Cibelle devint écarlate et croisa les bras en faisant sa
moue des mauvais jours.
- N'empêche qu'ils disent toujours la vérité, les Prodiges !
- Calmez vous les enfants
Intervint Selan :
- Cibelle n'a pas tort après tout, mais comme vous l'avez fait remarquer, je
n'étais pas un oiseau, j'en avais seulement l'impression... Bon, où en
étais-je ? Ah ! Oui ! Je venais d'arriver dans la partie basse des tours
inférieures, là où arrivent tous les voyageurs et où s'amassent tous ceux
qui veulent partir d'Onyr. Il y avait peu de monde ; il faut bien l'avouer,
la Forêt Mère n'est pas le meilleur endroit pour rallier Onyr, mais par
contre cette escale est prisée par les herboristes et les mages qui peuvent
faire le plein de composantes exotiques qu'on ne trouve que dans la grande
forêt.
- Grâce à Kole j'ai pu visiter la ville aisément ; il était un bon guide, même
si parfois je devais lui rappeler que je n'étais pas Mage moi-même et que je
ne pouvais me déplacer dans les airs !
- Comment ça grand-père ?
Demanda Eskyel, son petit-fils.
- Eh bien, je dois vous expliquer que lorsque les Mages veulent accéder aux
étages supérieurs de certaines tours, ou s'ils veulent gagner du temps en
traversant d'une tour à une autre en passant par le vide, ils sont capables
de faire apparaître sous leurs pieds des marches faites de pure magie !
L'effet escompté ne se fit pas attendre. Un murmure de
stupeur et d'extase parcouru la troupe attentive... Quelques chuchotements se
firent entendre ici et là, tous se voyaient déjà devenir de grands mages marchant
dans les airs... Tous sauf une, qui restait décidément obstinée à faire la tête
et qui haussait les épaules en signe de dédain.
- Les rues de la Ruche, le quartier marchand d'Onyr, étaient bondées, il y
avait des marchands de partout ! Des étals avec des objets venus des quatre
coins de Kor ! Certains même, devaient sûrement venir du terrible royaume de
Kali vu leur aspect repoussant ! Les bousculades étaient incessantes dans
cette partie de la ville et j'ai eu peur de tomber dans le vide plus d'une
fois ! Heureusement, Kole réussit à me rassurer en me disant que des mages
des Vents guettaient et secouraient les infortunés qui chutaient. J'avoue
que je ne l'ai pas réellement cru ce jour là. J'ai fait comme si je n'avais
plus peur, mais j'ai fait en sorte de rester le plus loin possible du bord
des parapets, vous pouvez me croire !
- Et tu as vu de la magie ? Dis, Grand-père ? Tu as vu la Chimère ?
Demanda Cibelle qui subitement venait de changer de
comportement, revenant par là même sur son sujet favori.
- Malheureusement non, mais j'ai pu apercevoir son sanctuaire, une boule
irisée, parfaite, nichée au creux du haut quartier des Temples, tel un joyau
étincelant dans son écrin de tours et de ponts aussi fins que des cheveux.
Aucune route ne menait au repère de Nenya, son sanctuaire flottait dans le
vide, étant en quelque sorte le coeur de la ville. Chaque fois que j'y pense,
les mots me manquent pour le décrire. De même pour les Temples d'Ozyr, de
Kezyr, de Szyl et de Heyra, qui sont faits de pure matière élémentaire...
Une vraie merveille pour les yeux, les enfants ! Je vous souhaite à tous
d'assister un jour à ce spectacle ! Imaginez : un arbre aux dimensions
extraordinaires, aux branches feuillues laissant pendre des dizaines de
lianes couvertes de fleurs dont le parfum vous enivre jusqu'aux étages
inférieurs des tours en contrebas. Un arbre vivant, peuplé de centaines
d'oiseaux, mais aussi de mages de la Nature et de Prodiges de la ville.
Selan s'étira sur son fauteuil et resta un instant perdu
dans ses souvenirs à savourer cette vision enchanteresse. Cette fois-ci, même
Cibelle se laissa emporter par la beauté de l'image qu'elle imaginait. Avant de
reprendre, Selan but une gorgée de vin épicé afin d'étancher sa soif. Les enfants
étaient tous allongés, des sourires béats illuminant leurs visages.
- Mais lorsque Kole rencontra son maître, à la grande Académie de magie, comme
on disait à l'époque, je me suis retrouvé seul avec les autres voyageurs
dans cette ville étrange et oppressante. Nous y sommes resté quelques jours,
le temps d'en faire le tour et nous sommes redescendu sur terre afin de
reprendre notre route vers Kern. Je n'ai revu Kolereck qu'une seule fois par
la suite, il était devenu un mage invocateur respecté de ses pairs, mais il
restait toujours trop énigmatique à mon goût. Hé, hé, j'ai toujours eu
quelques craintes à côtoyer les mages, car la magie est d'essence
draconique... et parfois même les plus puissants mages ne peuvent
la contenir.
- Or donc je reprenais ma route vers mon petit sentier afin de rallier le
premier village de montagnards, et...
Selan s'arrêta net, un sourire amusé sur le visage. Il se
leva, mit une nouvelle bûche dans l'âtre, prit soin de récupérer sa pipe d'écume
et sa chope de vin, s'approcha des enfants et replia la grande couverture de
fourrure de Skaërd sur leurs frêles épaules et, tout en claudiquant, sortit de
la tente en chantonnant doucement.
- Dormez en paix mes chers petits, que Nenya veille sur vous...
Cette nuit, les enfants du quartier feraient de beaux rêves,
il en était sur !
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Sylas © Prophezine 2004