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Auteur Sujet: [Nouvelle] Seconde Partie  (Lu 3467 fois)

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[Nouvelle] Seconde Partie
« le: 03 janvier 2015 à 18:34:39 »
Koryanne Nolyr avait entre les jambes ce qui semblait être un croisement entre un pur sang Zûl et pomyre. Il était en bonne santé, reposé et bien nourri.  Le museau était incontestablement busqué mais l’étalon semblait infatigable. Cela faisait des heures maintenant qu’elle chevauchait à vive allure sur l’ancienne voie impériale molyare. Le demi-sang avait une foulée souple et fougueuse qui la mènerait à Sylph en moins de 2 jours. Il était jeune, puissant, avait le poil luisant et la robe d’une sombre couleur rouan. Elle était une femme aux talents multiples, avec un caractère à la fois maniable et obstiné.  Elle avait la jambe longue, la main adroite, le doigt léger, la langue subtile. Ses cheveux, pareils à une fourrure du plus beau noir, étaient plantés bas sur son front, rejetés bien en arrière, juste au-dessus des sourcils. Ses yeux au regard perçant, son long nez aquilin et sa bouche amusante donnaient à sa figure quelque peu inclinée et osseuse une expression de vivacité, de candeur et de bonhomie. Elle avait connu bien des vicissitudes qui lui avaient enseigné la souplesse, une discrétion avisée, une maîtrise composée à la fois de bravade et de dissimulation. Originaire du royaume arboricole, elle avait fait de la fragilité apparente de sa constitution une force. N’hésitant pas en jouer - comme nous avons pu le constater, sur ses malheureux compagnons de fortune.

Les nombreux autels dédiés au dragon du vent qu’elle commençait à croiser le long de la route lui rappelaient constamment qu’il y avait encore un obstacle d’importance entre elle et la poursuite de sa quête ; la barrière d’octroi pour acquittement de taxe de circulation de cette voie surveillée payante. Celle-ci était régie par une guilde de mercenaire à la solde d’une puissance marchande pomyre. Cet étalon qu’elle montait  avait un propriétaire et étant mage elle-même, elle se méfiait grandement des moyens mis à la disposition des simples citoyens à l’intérieur de cette magiocratie démocratique qu’elle connaissait si bien.  La partie Nord de la Pomyrie était particulièrement surveillée par les monteurs d’autruches et elle n’avait que peu de gout au cachot ou au bagne. Elle abandonna la monture, ajusta sa capuche et se mêla à un groupe de 17 pèlerins.
                                                                                               


                                                                                    ***
 

Une main halée sort d’un ravin, agrippe la terre dans un spasme frénétique. C’est le jour.
Une âme en peine tourne autour d’un corps sans vie. Puis s’accroche à ce corps mouvant qui la dépasse, qu’elle semble reconnaître.  Marduk ne sait plus qui il est mais l’âme du rapace l’ignore.



 
                                                                                    ***



L’œil de Khy et le cœur de Kalimsshar sont hautes dans le ciel nocturne et sans nuages. La vue est dégagée, l’horizon lointain. Une légère brise, fraîche pour la saison, courre sur la ville. Demain sera le premier jour du vent de l’augure de Szyl et Bénédicte le Borgne ne raterai cela pour rien au monde. Ainsi que ses bagues hors de prix le montrent avec force et ostentation, ce dignitaire de la caste des commerçants a fait de Sylph son petit royaume personnel. Bien que n’ayant aucun don magique il en a le commerce à sa botte et son avenir semble sans limites. Il sait peindre, il sait cuisiner. Il se voyait comme un homme compétent et accompli.  Ce petit bossu d’une quarantaine de cycles blancs originaire des fanges du Royaume de la Pierre avait toujours voulu devenir riche. L’humiliation d’avoir été poussé à l’exil par ses pairs était un venin qui abreuvait ses veines d’une énergie et d’une force qui faisaient l’admiration et l’envie de ses employés. Il était su que ce petit homme avait été envoyé vivre chez sa tante après le malheureux accident qui lui avait coûté l’œil. Un bossu passait encore pour sa famille mais qu’il fut borgne de surcroît les amenèrent à se débarrasser de lui afin de ne pas devenir la risée de leur voisinage. Il était su que la perfection physique représentait une des plus grandes valeurs de la société kernite. L’union fait la force et la cohésion passe par l’uniformité.  Il n’avait jamais voulu être protecteur mais raffolait particulièrement défoncer les petits derrières de jeunes miliciens fraîchement débarqués de sa cité natale. Eux aussi aimaient ça et sa femme aimait regarder. Un rictus sans aménité barra son visage tandis qu’il sortait sur sa terrasse dominant la ville. Ma vie est d’une joie sans fin et je remercie Khy pour cela. Grand Dragon des marchands puisse tes ailes me porter bonheur demain et il jeta un drac d’or par-dessus le balcon. Une étoile brilla haut dans le ciel.


Il huma l’odeur particulière de la brise qui souffle de la forêt de Solor. Il pensa à tous ces hommes qui demain s’activeraient pour lui, chétives fourmis, pour des parts de miettes.  Une tiède torpeur le saisit sous la fraîcheur de la brise. Il pourrait mourir maintenant tellement il était heureux. Il était vêtu à la mode opulente et raffinée pomyre. Sa large toge flottante, ample et recouverte de dentelles, rubans, broderies, bijoux, boutons, pierreries et autres artifices magiques représentait le summum de la prestance. Les couleurs principales étaient vives et parsemées de sources secondaires multicolores ; bien que toutes rappelaient d’une manière ou d’une autre le grand Dragon tutélaire de la cité. Il arborait également de nombreuses incrustations de saphirs ci et là, dont certaines représentaient le salaire d’une vie.


Il avait apprit le secret des mots et leur pouvoir et aimait s’en servir.  Il en usait et en abusait mais sous son égide l’économie de Sylph était florissante. Il faisait partie d’une puissante guilde marchande et était un membre respecté du conseil de la ville et ne comptait surtout pas s’arrêter la ; son prochain coup d’éclat ne pouvait que le mener à faire partie des instances dirigeantes de sa caste. Il semblerait qu’un artefact molyar ait refait surface dans la forêt. S’il parvenait à se l’accaparer et à en tirer les secrets quels profits ! Quelle fortune ! Quelle gloire l’attendait ! Prince-marchand, voire devenir le conseiller de Khy en personne, rien lui ne semblait trop beau. ..


Il réintégra sa chambre sous les étoiles - formidable concrétisation d’un morceau de songe rendu réel par le pouvoir de l’argent et  sombra dans un sommeil profond ; un véritable héros est une personne qui a le courage de vivre dans ses rêves.

 
                                                                                                *****
 

L’homme se dépouilla peu à peu de toutes ses possessions et ramassa négligemment le pagne rouge traînant à terre non loin. Il monta sur un cheval blanc et disparu rapidement à travers les immenses champs dédiés à l’agriculture faisant la richesse de la Pomyrie.

 
                                                                                                 *****



Les gens du peuple ordinaires leur cédaient le passage avec joie plutôt qu’avec un froid respect. Des marchands sortaient de leurs échoppes pour leur offrir ce qu’ils avaient fait de mieux, et des enfants,  bouche bée, risquaient un coup d’œil de derrière les pantalons de leurs mères, pour pouvoir voir passer ces personnages hors du commun. Détenteur du secret de la vie et de la mort, initié des Arts Anciens et adepte de l’enseignement de Galigan le prodige, Brahodaran était la mante religieuse du groupe, impitoyable et extrêmement efficace. Venait à sa suite Silas, dont la cape flottait au vent telle une orgueilleuse banderole, voyageur infatigable, brise du cycle de Moryagorn guidant la compagnie dans son périple. L’Ange Noir, sorcier dont la recherche effrénée de lucidité avait abouti et brûlé les ailes ; songe onirique élu des rêves et joueur de flûte occasionnel. Il fermait la marche. Faisaient également partie de ces personnages hors du commun un garde métallique répondant au nom de Cyrulnik et son artisane tutélaire, Nadia. L’air que jouait le sorcier parlait d’amour perdu. D’un amour perdu puis retrouvé et perdu à nouveau. Et de la douleur de n’avoir plus que la mort pour compagne. Du fait d’avoir traversé des mondes, bravé les éléments, combattu des monstres. D’avoir sacrifié sa vie, sa famille et sa raison en une quête aussi futile qu’incontournable. Ses notes guidaient leurs pas alors qu’ils avançaient en silence, preuve d’une camaraderie aussi longue que certaine. Leur entrée en ville, bien que remarquée, se passa sans encombres. Leur renommée étant suffisante pour ne point qu’on les dérange. Ce ne fut qu’une fois arrivé devant le palais de leur employeur que les troubles commencèrent.


Bénédicte le Borgne allait les recevoir. Mais ils allaient devoir patienter.



 
                                                                                                *****



Son sourire tranquille disait qu’il savait tout. Il savait à l’avance ce qu’elle allait dire et pourquoi, connaissait ses rouages intimes, ses leviers mentaux mieux qu’elle, et pour des raisons à lui qu’elle ignorait et ne comprendrait jamais, il était prêt à les faire agir. Koryanne était à la merci de ce petit homme trapu. Il en avait fait son esclave le temps d’une conversation.

« Je vous prie de me laisser à présent. Vous trouverez de quoi vous rafraîchir ainsi que des vêtements de rechange dans la pièce adjacente. Si vous avez besoin de quoi que ce soit un serviteur s’occupera de vous »

Elle se leva dans un état second et fit selon ses ordres.

Par les foudres de Szyl ! Le temps qu’elle m’a fait perdre cette sotte… Je vais devoir recevoir mes invités sans interruption ni accalmie, mais le fait qu’elle soit venue à moi me sera tout de même utile, voire profitable.  Il les fit quérir.

En attendant il s’installa du mieux qu’il pu dans son salon de réception. Une épaisse moquette rouge couvrait avec amour un sol de dalles en marbre ‘chocolat noir’ de Jaspor. Le feu dans l’âtre du centre de la pièce était savamment entouré de plusieurs sofas bleu roi et d’un canapé en toile de cocon et cuir zaal recouvert d'une peau d’ours. Des peintures de maîtres sont accrochées sur les murs en bois précieux et de l’encens diffuse une fraîche odeur de fleurs.  Des arabesques de lumières incandescentes d’artistes locaux et de nombreuses plantes exotiques complètent le décorum.  La pièce est vaste et aérée. Elle dégage un sentiment de pouvoir, de maîtrise de soi et d’accessibilité. Soudain ‘Eagle’ son petit lézard mange-pierre domestique courre se réfugier dans ses pieds, rapide comme l’éclair. Un dragon des vents adulte venait d’atterrir sur la terrasse.

Il se mit à son aise et colla un œil contre la vitre. Bénédicte le borgne s’inclina avec ferveur et dévotion suivant un protocole multimillénaire. On y sentait une certaine habitude voire de la familiarité.



- Que puis-je pour vous Maître ? demanda t il dans un langage draconique des vents parfait.

Il avait cette vitesse et cette clarté d’élocution typique des habitants de la Pomyrie. Le temps qu’il relève la tête le dragon avait déjà prit forme humaine.

-Il me semble que tu attendes la visite de mercenaires, je suis venu assister à votre rencontre.

Voila qui était tout aussi inattendu que propice. Bénédicte le pria de s’installer le plus confortablement possible tandis que ses invités étaient introduits dans la pièce. Les présentations furent faites et chacun se mit à sa place.

 Il y avait deux statues sur le bureau ; l’une représentait un dragon des vents et l’autre un enfant de Nenya. Une armure antique de noblesse militaire molyare trônait dans un coin. Elle se vantait d’appartenir au fondateur de Sylph et Bénédicte ne l’avait jamais contredite. Cela était du meilleur effet sur ses visiteurs et les tentatives de vol se succédaient allègrement sans succès.

Alors Bénédicte se mit à parler ; Il avait cette réserve dans l’attitude et cette économie dans les mots de langage typique des Zûls. Il agrémentait de plus ses phrases de gestes à la galyrs. Son auditoire du rapidement captivé.

- Certains hommes sont revenus brisés à tout jamais de cette forêt, quand ils en sont revenus. Vous avez encore la possibilité de renoncer. Avez-vous ce qu’il faut ?
- Nous ne serions pas là le cas contraire.
- Très bien. J’ai ici là les cartes dont vous aurez besoin. Sa lourde main baguée se posa sur un ensemble de parchemins qu’il tendit à Silas. Celui se leva pour les acquérir.
- J’ai également les dracs.  Il appela son secrétaire qui apporta avec diligence une bourse qu’il remit au voyageur.  J’aime veiller sur mes intérêts ; un de mes agents vous accompagnera.
- Ce n’était pas prévu ! Nous ne travaillons pas ainsi ! Se récria Cyrulnik. Silas et Brahodaran se consultèrent du regard, l’Ange Noir jouait quant à lui avec ‘Eagle’. Nadia semblait être absorbée dans la contemplation de l’armure molyare.
- Et pourtant il en sera ainsi.
- Au temps pour moi.

Le dragon des vents se leva, passa dans la pièce voisine et revint rapidement accompagné de Koryanne Nolyr.

- Mais vous êtes … S’exclama Silas.
- « J’étais » le guide de la liberté de l’imprenable Griff oui. Dit-elle avec un demi-sourire.  Le Citoyen Dignitaire Bénédicte bénéficie à présent de mes services.  Ainsi que des vôtres également. Camarades, et si nous examinions ces cartes ?
Ils dégagèrent une des tables flottantes et étalèrent les cartes dessus. Silas repéra immédiatement quelques incohérences, le dragon des vents les corrigea. Ils estimèrent quel serait le meilleur trajet ainsi que les fournitures dont ils auraient besoin. Bénédicte partit en compagnie de Nadia faire les achats nécessaires. Brahodaran et Cyrulnik évaluèrent les forces qu’ils allaient devoir affronter et en firent le compte-rendu au sorcier. Celui-ci était légèrement flou.



                                                                                *****



« Le temple draconique de Sylph, dressé fièrement au centre de la ville, est une tour en vent élémentaire, riche en balcons et fenêtres, à la fois massive et aérienne. Lieu de culte, résidence du pouvoir, sceau de l’écheveau magique d’un canevas de protection dédié à la forêt de Solor ; elle est bien plus encore. Le sommet de la tour est constamment masqué par des nuages et de nombreux phénomènes météorologiques de la plus haute importance (De la tempête tropicale au cyclone en passant par ouragans et typhons) sans que cela n’ai jamais eu la moindre incidence sur le reste de la ville mais semblant indiquer que de nombreux enfants du vent y auraient élu domicile. » La Pomyrie et les courants de l’histoire vol. VII

Il est un temps, dans la vie de certains hommes, ou chaque mot peut être l’incarnation d’un souvenir, et la lecture par conséquent, devient difficile voire impossible… Silas referma le bouquin et le remit à sa place sur l’étagère. Il rejoint ses camarades. La pétillante Nadia était déjà de retour et son enthousiasme était communicatif comme toujours.

De nombreuses personnes étaient mortes pour réunir les informations réunies sur ces cartes. Mais la position présumée de l’artefact était profondément située dans la forêt de Solor. L’objectif de leur mission divisait profondément les compagnons réunis autour de l’âtre. Surtout que la nature même de l’objet leur était toujours inconnue.

« Toi, Silas, épargne moi le moindre baratin et dis-le, n’allons nous pas tout simplement vers notre mort ? » demanda Cyrulnik d’une inflexion d’acier

« Il est su que plus l’on s’enfonce dans Solor, plus on s’en approche mais n’est ce pas déjà ce que nous faisons tous les jours ensemble, intrépides,  décidés ? N’avons-nous pas choisi de profiter de ce voyage et d’en tirer les peines immenses et les joies démesurées qu’il contient jusqu'à ce que cela finisse ? » Lui répondit Silas

« J’ai entendu dire que certains oracles prophètes pouvaient prédire l’heure funeste et les circonstances exactes de la mort d’un individu » nota l’Ange Noir

« Tu touches là la corde de ma crainte, répondit Cyrulnik. Je t’écouterais de trois oreilles si je les avais. Nous recevons le bruit de ce que nous craignons sans savoir ce que nous craignons. Ne sachant pas de quel coté nous devons agir. N’ajoutons pas à l’incertitude des événements celle de nos propres volontés » conclu le garde métallique. Et il s’enfonça dans le canapé. 

Le dragon des vents  tourna ses yeux d’un bleu glacé vers Brahodaran :

« Nous savons qui vous êtes prodige. Et je devine la question que vous allez me poser.  Mon nom est Kadrale, ‘faiseur de pluies’, et les dragons ne peuvent plus s’approcher de cette forêt. Nous avons déjà essayé et je suis donc là en tant que simple observateur. Mais je vous servirai de guide, aussi loin qu’on me le permet »

Le feu dans l’âtre crépita.
 

                                                                                *****



Elle était fascinée, épouvantée, transportée. Jamais elle n’aurait pensé connaître pareille expérience. Elle avait grandie et vécue dans un univers presque totalement exempt de menaces ; à moins de faire des choses complètement stupides, par exemple se jeter dans la gueule grande ouverte d’un dragon. Il n’existait tout simplement pas de force naturelle assez puissante ou assez expérimentée capable de la menacer. Même un dragon, en fait, ne représentait pas une si grande menace, quand on savait comment le prendre. Cette chose-ci, par contre, était entièrement différente. Elle n’avait rien vu de tel depuis - les heures les plus sombres de la première croisade. Elle se mit à caresser la sphère flottante, immobile, et frissonna de plaisir.

 
                                                                                *****
 

Kadrale
Le groupe aussi compact que décidé quitta Sylph de bon matin en direction de Solor et aborda une route dont le revêtement se soulevait par endroits sous la poussée d'une étonnante végétation rampante, formée de lianes aux racines ramifiées. Il y avait également des fleurs énormes un peu partout. Des fleurs. L’orée sombre d’une forêt. Un épais sous-bois. Il entendit aboyer un chien. Cela ressemblait à un renard. L’animal le dévisagea avec curiosité, puis détala en direction de la forêt.

J’entre dans la forêt et le groupe de ‘statues’ me suit. Ils sont raides et figés. Cette forêt primitive, indistincte, immense, trompeusement attirante mais réellement menaçante.  Jamais il n’eût seulement imaginé pareils végétaux. Ce sont d’énormes tiges bleues ou rouille, ornées de bouquets d’aiguilles serrés, broussailleux et certainement mortels. Certaines se courbent à leur sommet telles des fougères géantes, d’autres s’ouvraient en dômes fongueux évoquant des tasses ou des bulbes, comme les toits de certains temples. Entre elles ne subsistaient que des espaces aussi sombres et étroits que des terriers de blaireaux, envahis d’une brume épaisse. Une odeur de pin flottait dans l’air, assortie cependant d’une amertume inattendue, étrange, rappelant le menthol ou le camphre. La canopée était inquiétante, les frondaisons opaques.

Une forêt n’aurait dû avoir ni cet aspect, ni cette odeur, ni – pire encore, peut-être – cette sonorité.

Aucuns bruits familiers ici, ni rien de semblable. Sans doute les troncs étaient-ils creux – les arbres paraissaient vides, tels des brins de paille – car un atmane y jouait de longues notes basses et mélancoliques. Je le saluai d’une douce brise et lui fit parvenir d’un souffle un de mes cheveux si bien travaillé. Quant aux bouquets d’aiguilles, ils cliquetaient faiblement, comme des carillons de bois. Comme des os. La végétation m’était inconnue et la faune que nous avions aperçue vivait dans les plus hautes branches. Pourtant, cette luxuriance inextricable recèle pour qui sait la voir une réelle beauté. Le soleil qui filtre à travers le dais des branches baigne d’une lumière tamisée, mouchetée, les draperies duveteuses des mousses qui pendent des lianes. Tantôt, je les maudis à Ozyr en me débattant dans leurs rets, tantôt je les admire telle une dentelle d’un vert sombre de Temeth. Puis je sens qu’il est temps pour moi de partir, de ne plus me mêler à leur quête. Je me détache petit à petit, et finit par m’envoler puis disparaître.



Silas
Cela faisait quatre jours maintenant que la présence écrasante de tant de vie primordiale les avait engloutis. Brahodaran, vétéran de Solor, menait la marche. Ils s’enfonçaient dans les profondeurs de l’orgueilleuse forêt, sous la pluie, dans une boue tiède et gluante, trempés jusqu’aux os. Ci et là les squelettes d’explorateurs malheureux mettaient leurs nerfs à rude épreuve. Il avait le sentiment d’être à la poursuite de quelque but inaccessible.  Prisonnier de leur invraisemblable cauchemar, Silas perdait peu à peu contact avec la réalité, avec la certitude qu'en s'enfonçant dans cet univers aberrant, c’était dans le cerveau dérangé de quelque dragon malfaisant qu’il entrait. L’atmosphère était quasi mystique, envoûtement difficile à éviter.  L’image fugace d’un retour au pays, ou l’attendaient des quantités inépuisables de victuailles et de vins, ainsi que de chaudes étreintes avec des femmes nobles, superbes et consentantes le traversa. Pour se perdre dans la brume.

De temps à autres, l’ange noir invoquait de minuscules créatures oniriques, multicolores, qui se dispersaient dans les environs afin d’explorer les alentours. Elles revenaient, une à  une, lui chuchoter à l’oreille leurs trouvailles. Aujourd’hui dans un marais fétide je suis tombé sur une créature qui pendait d’un enchevêtrement de feuillages ; semblable à une scolopendre mais gras comme un anaconda, et du même jaune maladif que les roseaux. Camouflage, probablement. Il fut à la fois saisi de terreur et frappé par sa beauté. Intéressante, d’une horrible manière. Il pensait que la créature allait fuir.

Ce qu’elle ne fit pas, et certaines leçons coûtent la vie. Elle fonça vers lui à une vitesse folle pour s’enrouler autour de sa jambe droite en un seul tortillement soudain, à l’image d’un ressort se détendant brusquement. Le voyageur eut conscience d’un picotement chaud et d’une pression, lorsque la créature perça le tissu du pantalon, puis la peau au-dessus du genou, de son museau effilé telle une dague.

Elle l’avait mordu !
Il secoua la jambe en hurlant, à la recherche de quelque chose pour détacher le monstre, un couteau, une branche ; mais il n’avait sous la main que son arc.

 Puis ce furent des milliers de petites aiguilles qui s’enfoncèrent dans sa jambe.



Le Sorcier
Dans un monde idéal les forts seraient justes et les faibles en sécurité...  Ce soir là c’était un faible et honnête paysan qu’il aurait aimé être et non l’élu de Nenya aux multiples visages et à la flûte enchantée. Deux semaines qu’il n’avait plus vu les étoiles. Seulement un océan de verdure infini et hostile. Le soleil déclinant, un crépuscule au rouge profond et de longues ombres noires envahissaient la forêt, prêtant aux épais taillis d’arbres noueux des formes quelque peu menaçantes et sinistres ; longtemps avant la tombée de la nuit, la Forêt de Solor emprunta tous les aspects d’une forêt nocturne. Loin de lui ôter de sa beauté, le demi-jour en rehaussait la grandeur, imprimant à son charme un caractère encore plus sauvage et plus sombre, lugubre. La nuit, les étoiles ne sont plus. Brahodaran, le vénérable prodige, avait trouvé dans l’immensité sylvestre une clairière, où il construisit un petit feu. La mage était partie chasser sous les arbres les plus proches, tandis que Cyrulnik et Nadia, encapuchonnés et sinistres, nourrissaient les flammes de petit bois. Les compagnons se serraient l’un contre l’autre, leurs fourrures luisantes, une vapeur épaisse s’échappant de leurs narines. Encore des champignons..



Lui, s’isole égoïstement. Ces bois étaient étranges. Il s’isole. Et des gens étranges y vivaient. Les visions étaient toujours persistantes ; elles faisaient parties de lui à présent mais C’était arrivé la nuit précédente. Il entendait chantées dans ses éeries les sagas d’un passé ancestral. Mais il n’en avait parlé à personne. Le code du rêveur disait que ce qui était dans le rêve n’en sortait pas. Cette nuit là il avait été réveillé par le même son, triste et long, et son cœur avait flanché comme cela arrivait parfois dans ces rêves. Seulement, ce n’était plus un rêve. Ses épaules s’étaient immédiatement couvertes de sueur et il s’était mis à courir. Il était poursuivi dans ce monde et dans l’autre.



La cité des démons était en pleine construction.
Bien que les démons n’eussent pas encore jailli de leur puits, les rues étaient animées, cette fois par des hommes possédés des démons. D’anciens prodiges, des démons : comme les Anciens qui se rassemblaient dans la forêt d’Emeraude, étaient morts à Yyprès, à Ennram ou en mer – morts dans un monde, vivants dans un autre. Ils servaient de conduits au transit entre les Archives et les Anciens. Individus sans scrupule, ils constituaient pour les démons des réceptacles parfaits. C’étaient les futurs défenseurs de la cité des démons, armés, eux aussi, évidemment. Ils arrivaient, seuls ou par deux, depuis des mois. Il était l’un de ces démons, il avait un nom, un destin ; servir d’accès aux archives des Anciens. Il alla se jeter dans le puits, au son des tambours. Au son des Tambours ; boum, boum. Boum, boum. Les démons, ils étaient partout, les démons, avec leur œil unique, des centaines, des milliers d’yeux noirs et démoniaques le fixant, tout autour, s’approchant. Il n’avait plus nulle part ou aller.

Koryanne
Nous n’étions plus que quatre. Des millions d’arbres muets se dressaient autour de nous comme les soldats muets d’une armée irréelle. L’Ange Noir avait disparu la veille, nous avions passé des heures à le chercher, à appeler son nom en vain dans des sous bois douteux. Un univers à part où grouillait une vie misérable, une dimension quasi miraculeuse au cœur d'un entrelacs de lianes géantes. Nous avions découvert des ruines non indiquées sur la carte. Le lierre montant à l'assaut de murs, déjà mangés par une lèpre malsaine. Des fougères géantes poussant au milieu des pierres et des ruines. Brahodaran, fier et puissant, hautain et pédant, commença à se bagarrer contre les essaims de moustiques qui assaillaient leur groupe. 

La cité antique était en forme de cadran zodiacale et couverte d’une forêt noire d’arbres calcinés, de ronces hallucinantes et de bouquets d’un grand végétal à l’écorce blanche, aux feuilles épaisses, pour lequel le prodige lui-même n’avait pas de nom.

« Je sens une grande force émaner de ces ruines. Une place forte molyare se dressait là», déclara Nadia. Elle était devenue pale et nerveuse.

Le prodige lui dit de faire attention à ce qu’elle mangeait. Toutes les plantes et un certain nombre d’oiseaux et d’animaux étaient susceptibles d’être toxiques, narcotiques ou les deux. Mais pour qui se prenait ce vieux sage avec ses airs efféminés. Toujours à la ramener.

Mais contre toute attente, peut être par fierté mal placée, elle effectua sa part de l’exploration sans se plaindre. Mettant ainsi en danger sa santé.

Au détour d’une ruine peuplée d’ombres inquiétantes je vis surgir plusieurs sortes d’insectes géants à face d’homme. Je sentis la formation d’un souffle glacé dans ma nuque et ma peau frémir.

Leur épais cuir était d’une couleur lilas tacheté de rose.  Les pattes arrières portées par des sabots, les pattes antérieures, couvertes de griffes, semblant finir par des mains de gorilles, une trompe gigantesque terminée par une mandibule acérée d’où une bande noire, passant par le crane, finissait sur l’excroissance munie de cornes qui leur servait de queue. Au dessus du visage poussait une tige au bout de laquelle trônait un troisième œil.

Certains faisaient, que les dents me tombent si je mens, Trois fois ma taille. Alors que d’autres, n’étaient que de minuscules scorpions. Leur chef s’avança vers moi, Tout dans sa posture indiquait la menace et une attaque imminente mais je n’étais pas sans défense, je connaissais le maniement du couteau, de la hache et de l’épée. Elle traça rapidement une rune tout en joignant les pieds. Koryanne Nolyr, Mage de Szyl, Guide de la liberté de l’imprenable Griff, n’abandonnerait pas la lutte même face à une mort inéluctable. Elle sorti son épée tranchante. Abandonnant le reste de ses possessions à terre.

La créature courut sur Koryanne, la mandibule dressée en l’air, et l’abattit d’un coup d’un seul. Un coup susceptible de pulvériser un crâne comme une coquille d’œuf. Mais Koryanne avait déjà plongé sur sa droite et, lorsque la mandibule de l’insecte, fendant l’air en sifflant, s’abattit à l’endroit où avait été sa tête, elle asséna à la patte de la bête un vigoureux coup près de l’articulation, faisant presque se briser le membre. Le premier choc rompit l’atmosphère qui était presque solennelle et déclencha les cris stridents des autres insectes, qui se mirent à agiter leurs trompes.

Tandis que leur chef, se reprenant en une stupéfiante rapidité, relevait déjà sa mandibule au-dessus de sa tête pour frapper un nouveau coup, Koryanne fit tournoyer sa propre épée selon une trajectoire serrée afin d’atteindre la rotule arrière gauche de la créature. Celle-ci trébucha en arrière, évitant le coup, mais la mage parvint tout de même cependant à lui porter un direct rapide à l’estomac avec le pommeau de son arme, au grand dam du monstre. Mais, quand elle ramena son bras en arrière, celui-ci parvint à abattre sa mandibule sur l’extrémité de l’arme de Koryanne, ce qui empêcha celle-ci de poursuivre son avantage.

Les deux adversaires s’écartèrent d’un ou deux pas, tournèrent l’un autour de l’autre quelques instants, puis, presque simultanément, chacun dirigea son coup vers la tête de l’autre : le résultat ne fut qu’un énorme craquement lorsque leurs armes s’écrasèrent l’une contre l’autre. Les spectateurs mugirent leur agrément de ce choc titanesque, bien que ces coups n’eussent pour effet que de secouer les deux adversaires. Firent suite presque aussitôt des coups semblablement parallèles, cette fois à hauteur de poitrine, puis à nouveau une double parade. Se reprenant, Koryanne frappa en haute alors que le monstre venait en basse. Les deux assaillants se virent donc contraints de reculer à mi-course, l’arme sifflant dans le vide. Koryanne était circonspecte.

La créature fit quelques pas rapides en arrière, puis revint d’un bond sur la femme, lançant un coup en direction de la tête, qui fut paré, un coup de taille à la poitrine, qui tomba à nouveau sur la hampe d’acier de l’épée  puis un coup identique de l’autre côté, que l’ancien guide de la liberté fut obligé de parer bas sur son arme, recevant ainsi une éblouissante onde de douleur dans son bras.

Elle tourna alors deux fois Le second anneau de pouvoir du troisième doigt de sa main droite, ce qui eut pour effet de le rendre poussières.

Et exagéra alors sa douleur rompant dans un semblant de désarroi. Désarroi, pendant lequel les insectes aux ridées faces humaines la conspuaient et que leur chef se ruait sur elle de nouveau, mandibule hautement brandie pour le coup de grâce. Mais soudain elle se redressa net, sauta de côté au moment où la mandibule arrivait en une courbe puissante, se tourna et asséna au montre un grand coup à la patte, que celui ci fut juste assez agile pour parer avec une partie dure de son anatomie. La bouche humaine de cet étrange monstre hurla de douleur, tout en achevant cependant son mouvement. Koryanne, d’en dessous, releva légèrement son arme pour parer ce coup violent. La mandibule arriva exactement au milieu de l’épée de la mage des vents, qui l’appuyait délibérément sur le sol pour amortir le coup.

Mais on entendit alors, au milieu d’un bruit franc, un craquement dérisoire de métal brisé. La mandibule avait brisé en deux l’épée, et la mage se retrouvait en possession d’un tronçon ridiculement petit. Une transpiration glacée, à l’odeur acre et forte détrempa ses vêtements.

Le chef des monstres eut alors une grimace de carnassier permettant à Koryanne de bondir sur ses pieds. Lentement, délibérément, sa trompe à hauteur de poitrine, il se mit en marche sur la porteuse de l’épée brisée, qui reculait en zigzaguant. La signification de cette manœuvre était parfaitement claire : le panache n’avait ici aucune place ; le sort avait rendu inutilisable l’arme de Koryanne, et il n’y aurait pas de quartier. D’ailleurs, pensait elle, elle n’en demanderait pas. Si son destin était de tomber ainsi, ainsi soit-il. Elle accepterait héroïquement son sort, luttant jusqu’au bout avec tout ce qui lui tomberait sous la main, même à poings nus si nécessaire. La mort oui, mais pas sans lutte.

Le coup partit, droit sur la tête ; pour tuer. Elle sauta en arrière. Le monstre asséna un coup violent sur les côtes de Koryanne, coup que celle-ci eut grand-peine à bloquer avec son épée brisée; derechef elle fut repoussé en arrière, et perdit l’équilibre. Ce que voyant, l’insectoide en profita pour lever ses pattes avant de les abattre sur la tête de la femme sans défense. À nouveau, elle ne put que tout juste parer le coup avec son moignon d’arme, mais, cette fois ci, la force du choc la lui arracha, et elle se retrouva sans défense. Elle utilisa sa rune de vitesse.

Avec un grand cri bestial, l’insecte à visage d’homme frappa sans pitié en direction des genoux de Koryanne de sa mandibule, l’obligeant à sauter à l’aveuglette en arrière. Ses pieds heurtèrent quelque pierre ou racine, et elle s’étala. Il visa alors encore la tête ; elle évita le coup en roulant sur elle-même, et le bout coupant de la mandibule s’enfonça dans la terre à ses côtés. Ille frappa encore, et une fois de plus elle évita le coup en se jetant de côté. Encore et encore, chaque fois elle évitait les coups mortels, roulant toujours sur elle-même, mais ille était de nouveau immédiatement sur elle ; dessus, ne lui laissant pas le moindre répos, le temps de reprendre pied.

Elle boula une dernière fois, la mandibule sifflant à ses oreilles ; cette fois, elle avait roulé presque sur ses affaires. De surprise, elle perdit quelques précieuses secondes. Voyant cela, ille hurla, brandit ses mandibules au-dessus de la tête et l’abattit suivant une courbe irrésistible.

Instantanément, Koryanne, comme instinctivement, chercha derrière elle et, agrippa l’arc de Silas pour parer le coup. La mandibule frappa le matériau épais et brillant de l’arme légendaire et se brisa instantanément en mille morceaux. La créature hoqueta de surprise, prise de spasmes incontrôlables. Elle recula cherchant une issue, de toutes parts elle n’était entourée que de son armée de monstres. Se dressant alors sur ses pattes postérieures, dans une posture presque simiesque, elle attaqua de nouveau, les poings serrés.

Koryanne encocha une flèche et tira. Puis une seconde. Encore une.



Devant elle, la créature au ridicule visage d’homme était agenouillée, dans une attitude de soumission à la fois noble et cosmique. « Disposez de ma vie comme vous l’entendez, maître »

Elle ramassa au sol l’épée brisée, haletante, le souffle rapide, et l’enfonça profondément à travers les orbites. Puis elle défia du regard toutes les autres créatures aux faces estomaquées présentes.

Toutes se soumirent. Puis se joignirent à elle ; ne formant plus qu’un seul corps.



Brahodaran
Voici Koryanne qui revient de la chasse se dit-il. Brahodaran était un sage, il comprenait le langage des plantes, celui des oiseaux, des poissons et des insectes. Mais cette femme restait un mystère pour lui. Pourtant, se remémorant sa jeunesse, il pouvait affirmer sans s’enorgueillir qu’il en avait connu suffisamment pour s’en faire une idée générale. Elle était accompagnée d’une armée d’insecte et semblait être prise de fièvres. L’atmosphère d’évasion mystique en fut définitivement déchirée. Il était une chose que son grand âge lui avait apprit ; certaines savoirs ne se trouvent que dans l’expérience : L’humilité par exemple, la mortalité ensuite. La fragilité de toute chose dont la vie humaine. Les hommes s’élèvent, puis retombent. Ils s’élèvent et puis retombent. Tout n’est que poussière. Les étranges insectes lui étaient fidèles. Ils trônent dans le campement comme si c’était le leur. Elle survécut. Alors qu’elle commençait à oublier ce que fut sa vie avant la forêt, ils trouvèrent ce pour quoi ils étaient venus. La clairière oubliée. Un style très complexe avec moult détails dans l’architecture. A la manière d’un petit village au plafond bas, des mausolées étaient éparpillés, entourés d’une grille en fer rouillé. Le temps ayant prise sur toute chose, certains sont détruits, recouverts de végétation, abris de quelques créatures sauvages. Mais d’autres subsistent. Une fine lumière filtre de quelques ouvertures dans la canopée qui jadis avec le soleil permettait un éclairage satisfaisant, maintenant la pénombre y a fait son logis. Nombreux sont les mausolées qui ont été pillés, mais certains résistent encore dans ce bosquet. Nous sommes dans un cimetière protéiforme envahit par la brume. Je maudis l’artiste en moi car, lorsque je lève les yeux vers le rayon de soleil oblique qui perce l’entrelacs de branches et de feuilles, je vois dans cet endroit une sauvage et redoutable beauté. Ce n’est qu’une impression mais si je m’y abandonnais, je crains bien que cette forêt ne soit aussi séduisante que le regard impudent d’un voyou. La carte nous indique un tombeau au bout d’un parcours attractif susceptible de déterminer un impact psychologique important. Nous entrerons demain. De ces temps clair-obscur où le jeune peine à naître et le vieux à mourir, naissent les monstres.



Du brouillard émergea une créature anthropoïde massive, aux yeux luisants, au corps long et puissant. Plusieurs mètres de hauteur, une carapace acérée recouvrant la totalité de son corps. Un corps puissant, noueux, aillant l’aspect du métal brut et du dragon. Une peur ancestrale, viscérale les saisit à la vue de ce monstre et à la réalisation de leur mort prochaine. L’ambiance était maintenant lourde d’inquiétudes et seule la fermeté et la détermination du prodige leur permettait ainsi de continuer à chevaucher la cavale du destin. Mais nous n’étions pas au bout  de nos surprises. A sa suite, une sorte de petit dragon noir jaillit de la brume, sans ailes, des écailles chitineuses et muni d’.. Un Syrass !!! Ainsi les mythes n’en étaient pas et la légende disait vrai. Ces abominations existent. Et elles étaient deux. Une troisième sortie de la brume… Brahodaran fit face à la mort bravement. Lui qui avait passé sa vie au contact de dragons de la nature à l’étudier trouverait peut être l’apaisement dans une prochaine vie. Lui dont l'arme pouvait fendre l’air et les pieds ouvrir le sol. Il fit tournoyer son shaadu’kt avant de le caler dans son dos, levant sa main gauche en signe de défi, prêt à se battre et à affronter son destin, quel qu’il soit. Aucune famille ne l‘attendait nulle part. Ses compagnons, ses amis … étaient sa famille ou ce qu’il s’en approchait le plus. Et cette maudite foret les lui prenait l’un après l’autre. Et personne ne saurait jamais comment ni même pourquoi ils étaient morts. Seul son dévouement pourrait sauver ses frères et ses sœurs se dit-il. Autour de lui ; Cyrulnik semblait faire appel à Kezyr, Koryanne tirait déjà de nombreuses flèches tandis que son armée se lançait à l’assaut d’un des syrass mais Nadia, ou était passée Nadia ?



Le Tombeau
Nadia  était une femme d'un courage mâle qui aimait violer toutes les règles. Quelles qu’elles soient. Et dans ses bons jours, elle pouvait avoir la verve d’une ironie mordante. Elle se faufila dans l’entrée béante du mausolée et en descendit les premières marches avec promptitude. C’était une entrée rectangulaire imposante de quelque six mètres de haut et au moins neuf de large. Le tombeau en lui même était une caverne artificielle qui avait été creusée, qui sait combien de temps auparavant, par un peuple de poètes dans du basalte noir de belle taille. Un épais tapis de pétales rouges au doux parfum avait été étalé sur les marches qui semblaient continuer dans des profondeurs insoupçonnables. Des dizaines de flotteurs lumineux dérivaient dans les airs fournissant une douce lumière verdâtre qui illuminait les reliefs picturaux détaillés qui avaient été sculptés dans les murs noirs de la caverne, du sol au plafond.

 Rien dans les informations qu’ils avaient eu n’indiquait de qui était-ce la dernière demeure. Etant elle même artiste elle reconnaissait dans ces fresques un travail de maître. Son corps mince et nu luisait de transpiration, mais elle marchait inlassablement, maintenant une allure cadencée, comme si elle était une proie. Le bruit de sa respiration saccadée et l’écho de ses pas résonnaient dans l’immense caverne.  Son visage arborait l’expression figée des personnes qui savent leur dernière heure proche. Elle pensait à Cyrulnik  son garde métallique, son ancien légionnaire de Kern. Lui qui s’habillait toujours de façon si sobre, au ton si sombre, au langage si polie et aux manières si cordiales et raffinées, à la pensée si pure. Il avait la sagesse née de l’expérience de l’excès comprit-elle soudain. Son grand corps solidement charpenté, basané par les brûlants soleils de nombreuses contrées, large d’épaules et de poitrine, mince de taille, long de jambe.  Mais en même temps une silhouette si lugubre, si sauvage ; ce regard noir et moucheté d’argent tout chargé de misère, d’évènements et de souffrance qui distingue les vieux soldats. Le visage froid comme la mort, sinistre et impassible comme le masque qu’il portait. Ô qu’elle aimait son beau garde du corps…
Même la plus courte interruption dans sa descente incessante, même la plus légère altération du rythme de ses pas, pourrait mettre en danger sa vie. Elle en était persuadée. ‘Nation’ était un talisman que lui avait confié Silas avant de mourir. Il pendait tout contre son cœur et elle le serra avec fermeté. Le talisman sembla répondre à ce contact par une douce chaleur. Rassérénée elle en profita pour examiner plus attentivement les murs du tombeau. Le voyageur, à la culture érudite aurait peut être pu connaitre ce que représentaient ces fresques avec plus de précisions mais Elle cru reconnaître des scènes tirées d’une élégie épique datant de la 1ere croisade « de-Ceux-qui-sont-Tombés » : Sarack l’Immortel, maître du vent, frappé en plein Cœur par la lance de Kalimsshar, Gertyan le Traitre, changé en plomb par Kezyr et balayé d’un souffle de Kroryn, Meryn, la danseuse de lumière, décapitée par son propre amant le chimère Wirrinnaël…Et cela continuait ; Des représentations de triomphes militaires, des couronnements, l’élévation d’un grand monarque sous une averse puissante. Elles semblaient toutes être très bien faites et elle aurait aimé pouvoir les examiner de plus près. Mais une force irrésistible la poussait toujours plus loin, descendant l’une après l’autre les marches noires d’obsidienne. Ainsi tout ce qu’elle vit de ces reliefs ne fut que du coin de l’œil. Quand finalement apparu dans la lumière verdâtre ce qu’elle n’eut pu concevoir dans ses rêves les plus fous.



De toute sa grandeur et sa magnificence royale, se dressait devant elle, la silhouette colossale de marbre patiné couleur crème d’une statue élémentaire, enchâssée dans une grande niche au fond de la caverne. La représentation sculptée faisait une dizaine de mètres de haut, voire plus, une noble statue dont la main gauche reposait sur le cou d’un dragon, et la main droite était levée et tendue vers l’entrée du tombeau. L’expression du visage crée était d’une sublime placidité et bienveillance : pas seulement un visage royal mais tout simplement divin, les traits sereins et souriants parfaitement composés, calmes, rassurants, réconfortants. Nation lui communiqua une étrange impulsion qu’elle ignora. C’était une sculpture absolument magistrale. Tout le génie laudatif de l’art était dans cette statue.



Qui avait été cet être mort ? Un guerrier des temps anciens ? Quelque grand chef, redouté de son vivant et trônant encore dans la mort ? Personne n’eût pu le dire. Un homme, ou était ce peut être un immortel ? Dans une attitude de protection, de transmission. C’était comme si, l’homme était le professeur et le dragon l’élève. L’impression générale était celle d’une égalité voire même peut être d’un léger ascendant de l’homme. Blasphème se dit-elle aussitôt. Et pourtant cette statue existait bel et bien, elle était là, sous ses yeux. Elle s’approcha pour la toucher, se faire à l’idée que tout ceci était réel, et qu’elle n’était pas tout simplement dans un de ces rêves que l’ange aimait lui concocter. Elle dut se rendre à l’évidence et admettre que ce qu’elle avait sous la main était d’une concrète réalité. Saisissante de beauté et de précision. D’un magnétisme puissant au toucher.



C’était ainsi que l’on aurait pu représenter le visage d’un immortel, se dit-elle. Mais personne n’avait jamais tenté d’en dépeindre un sous une apparence si réaliste. Une telle chose était-elle ce que l’auteur inconnu de cette magnifique œuvre avait à l’esprit : montrer l’Immortel à l’égal du Dragon ? Il y avait assurément là quelque chose de presque sacrilège dans la sérénité quasi draconique dont le sculpteur avait doté le visage de cet immortel professeur.

À droite et à gauche de l’immense statue se trouvaient deux niches plus petites, situées haut dans le mur de la caverne, qui contenaient d’un coté une gerbe et de l’autre de larges coupes d’agate polie brillant comme des miroirs. La gerbe était constituée de roseaux de diverses couleurs et textures, entrelacés en un schéma complexe et déconcertant qui devait avoir demandé de nombreuses heures de travail au tisseur qui l’avait réalisée, et liée tous les dix centimètres environ par de fines bandelettes de métal sur lesquelles étaient inscrits des caractères d’un genre très ancien et intelligible pour Nadia. Instruction de s’agenouiller, d’entrer en phase de contemplation, et de remettre son âme au soin du professeur « Notre destination n’était pas un nouvel endroit, mais un nouveau point de vue, une nouvelle vision / des choses. » Ce serait un acte singulier à exécuter pour elle, une femme qui n’accordait que peu de foi aux fioritures et autres billevesées. Mais les paroles de Sir Tharen, quelques augures plus tôt, lui revenaient à présent : « Sacrifie toi pour ton œuvre, Nadia, quel que soit le sacrifice, aucun n’est trop grand car l’œuvre accomplie te survivra ». Ils se tenaient alors tous deux dans l’immensité du Tunnel d’acier de la Marche des Géants, dans les profondeurs du Noyau de Dungard. Empire de Solyr. Elle regarda pendant un temps infini, interminable, le serein visage de pierre qui se dressait là devant elle. Regarda le visage merveilleux, regarda encore et encore, regarda. Et brusquement il lui parut nécessaire de fermer les yeux. Il lui semblait à présent entendre une voix dans sa tête, qui parlait non pas avec des mots, mais avec des enchaînements abstraits de sensations. Elle n’aurait pu les traduire en phrases claires ; mais elle n’en était pas moins certaine qu’ils renfermaient une sorte de signification conceptuelle, ainsi qu’une faculté d’oracle manifeste. Qui, quoi, qui lui parlât en esprit, l’avait reconnu comme sa protégée, sa destinée. Et il lui disait que de grands labeurs l’attendaient et qu’à la fin de ces labeurs, elle était destinée à apporter une transformation du monde, un changement dans l’ordre des choses presque aussi formidable que celui qu’avait accompli Solyr lui-même, lorsqu’il eut créé le lien. La nature de ce changement ne fut pas précisée. Mais ce serait-elle, Nadia la dungari, semblait indiquer la voix, qui accomplirait cette formidable transformation. Ce qui se répandait dans son esprit avait la force de la révélation authentique. Sa force était irrésistible. Elle resta ainsi, immobile, pendant ce qui aurait pu être des semaines, des augures ou des années, inclinée devant la statue, la laissant envahir son âme.

« à toi, qui es encore la Beauté, cet ouvrage où ton amour et ta fantaisie, ta foi, ton expérience, ta douleur, ton espoir et tes rêves sont comme les chaînes qui soutiennent une trame moins brillante que la poésie gardée dans ton âme, et dont les expressions visibles sont comme ces caractères d’un langage perdu qui préoccupent les sages et les savants »
Au bout d’un moment, sa puissance se mit à refluer. Elle ne devinait plus rien d’essentiel dans ce qu’elle ressentait. Elle était toujours plus ou moins en contact avec la statue, mais ce qui en émanait désormais n’était plus qu’un écho primitif et lointain qui se répétait jusque dans les recoins de son esprit, boum, boum, boum, un son qui était emphatique, puissant et d’une certaine façon lourd de sens, mais qui ne véhiculait aucune signification qu’elle puisse comprendre. Il se fit de moins en moins fréquent puis disparut. Elle se leva, tel une automate ou un zombi, descendit quelques escaliers encore et rejoint les rangs sans fin d’une armée de primitifs corrompus alignés en régiments à l’intérieur d’une caverne souterraine plus immense qu’une mer, le regard tourné vers un haut plateau où siégeaient deux trônes de diamant ainsi qu’une mystérieuse sphère noire.



Cyrulnik
Le masque de Cyrulnik était tombé, en même temps que son œil et son bras. Son corps entier n’était que le théâtre de nombreuses plaies suintantes et seule une détermination en acier lui permettait de survivre et d’avancer. Il avançait en plantant un couteau dans le sol devant lui et tirait son corps à bout de bras. Brahodaran était tombé, Koryanne était tombée également, emportant dans un terrible cyclone vengeur et furieux son armée d’insectes ainsi que les syrass immortels. Il ne restait plus que lui. Lui et son devoir ; protéger Nadia et en tenir Kezyr informé. Il en avait fait le serment ; jusqu'à la mort il lui donnerait sa vie pour accomplir sa mission. Il n’était qu’une pierre de l’édifice, un simple maillon de la chaîne. Il fallait qu’il survive pour témoigner de ce qu’il allait voir.

 Il passa une statue, et continua dans les profondeurs du tombeau, laissant une traînée brillante de sang à sa suite.
Enfin il atteint une caverne aux dimensions titanesques. Il n’en voyait ni le bout, d’où lui parvenait une lumière aveuglante, ni le plafond. Elle était emplie d’une foule innombrable de primitifs à perte de vue, droit comme des i, en un ordre plus discipliné et plus resserré que l’élite de l’élite des légionnaires de la Ière et tous, regardaient en direction d’un haut plateau de noir basalte. Il hissa sa tête tant bien que mal et avec une douloureuse difficulté pour y apercevoir, de son œil unique, une Reine à la beauté envoûtante et à l’allure délicate. Une Reine terrible et inquiétante, psalmodier d’une voix pure un chant de louange et d’adoration, de gloire et d’affront, une mélopée d’une tristesse et d’une mélancolie absolu à l’intention d’une sphère attirante à la splendeur aspirante. Tous les primitifs étaient sous l’emprise de l’aura de puissance, fascinés.

Puis un homme couleur caramel, à l’aura magnifique et aux yeux violet se leva d’un des deux trônes, embrasa la salle du regard, embrassa la femme et se dirigea vers la sphère noire flottant dans le vide. Sa présence était sans limites.



Elle s’ouvre alors révélant un simeterre estampillé aux runes du rêve, du feu et de la nature.  Le métal est noir anthracite mais tire au bleu céruléen sur les bords de la larme. Et Marduk s’en saisit.
« Modifié: 04 janvier 2015 à 18:15:43 par bubu »

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Re : [Nouvelle] Seconde Partie
« Réponse #1 le: 04 janvier 2015 à 18:15:57 »
Idem je déplace au bon endroit :)

Hors ligne Mirandir

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Re : [Nouvelle] Seconde Partie
« Réponse #2 le: 05 janvier 2015 à 08:43:59 »
Merci ^^ Je me disais bien qu'il y avait une place idoine :)